Pierre BERGE

Souvenirs Rudolf Noureev par Pierre Bergé

Rudolf Noureev est arrivé dans un saut, il est parti dans un souffle. Nous n’oublierons jamais ce danseur venu du froid, qui nous a tout de suite ébloui et qui devait nous fasciner si souvent par la suite.

Avec Noureev, c’est plus qu’un danseur qui disparait, c’est un moment de la danse, comme avec Callas s’est effondré un moment de l’Opéra. Ils ont, tous les deux, marqué leur art de leur empreinte et rien, après eux, ne sera pareil.

Rudolf Noureev côtoyait le génie. Il en avait le talent, l’étrangeté, la singularité et l’audace. La danse était sa vie, et, d’une certaine manière, on peut dire que le jour où il cessa de danser, il commença à mourir. Il était exigeant – pour lui et pour les autres – et se souciait peu de plaire. Il n’avait de vrai dialogue qu’avec son art, et portait sur le monde un regard amusé, cynique et souvent méprisant. Sa mort nous atteint au plus profond de notre être.

Je le connaissais depuis plus de trente ans. Nous étions des amis.

Pourtant, je ne suis pas sûr qu’on lui ait témoigné assez de reconnaissance et de gratitude.

Lui a-t-on dit à quel point il avait été unique ?

L’a-t-on suffisamment remercié des émotions qu’il nous a procurées ?

Lui a-t-on prouvé, comme il le fallait, notre admiration et notre amour ?

Je ne sais pas. Ce que je sais aujourd’hui, c’est que nous sommes seuls, que l’irréparable s’est produit, et qu’un danseur génial s’est évanoui pour toujours.

Janvier 1993