Je serai le plus grand danseur du monde ! par Hélène Ciolkovitch

Alexandra regarda son camarade de classe, interloquée :
– « Mais tu ne sais pas danser !
– J’apprendrai et je quitterai Oufa ! Tu verras ! »
Juché au sommet de la colline où ils allaient souvent ensemble admirer le fleuve Belaya et
regarder les trains s’éloigner vers l’Ouest, le garçon de 11 ans s’était soudain échappé de leur
amitié. Il était empli d’une vision qui éclipsait leur vie misérable en Bachkirie soviétique.
Alexandra vit son ami happé par un autre monde, un monde plus vaste qu’elle ne pourrait
jamais l’imaginer et où il n’y aurait nulle place pour elle. Rudolf Noureev était né à son
destin.
Le public, debout, applaudit à tout rompre, saluant une représentation inoubliable du
phénomène : NOUREEV. Après d’innombrables rappels avec sa partenaire, Margot Fonteyn,
et le corps de ballet, le danseur se tient seul, immobile au centre de la scène, au milieu de
fleurs, un bras tendu vers le public. D’un lent mouvement du bras et du torse, il balaie tout le
théâtre pour s’incliner devant la foule qui l’acclame. Il a l’air épuisé et heureux. Il exprime
toute sa fierté et sa gratitude devant cet hommage à sa danse. La scène se passe à l’Opéra de
Paris, à Covent Garden, au Met, à l’Opéra de Vienne, à la Scala…
Le chemin entre ces deux scènes fut long et ardu. Naître dans le Transsibérien un an avant
l’éclatement de la Deuxième Guerre Mondiale est certes une manière originale de faire son
apparition dans le monde. Toute la vie de Noureev sera un mélange de contrastes,
d’opportunités incroyables et de tragédie profonde, caractérisé par une lutte constante.
Noureev est devenu synonyme de danse dans le monde entier. Il est devenu LE danseur, LE
grand danseur, LE plus grand danseur du XXème siècle. Son nom évoque célébrité, liberté,
succès, audace, scandale, passion. Des gens sont devenus danseurs, chorégraphes,
photographes, décorateurs, écrivains à cause de lui. Sa danse a illuminé le quotidien de
milliers de personnes ; il a donné force et détermination à toute personne poursuivant un rêve.
Noureev était doté d’une volonté de fer et totalement dévoué à son art. Il est devenu le
danseur le mieux payé au monde, il a vulgarisé la danse classique, il est devenu la rock-star du
ballet, il a modifié la danse masculine dans les ballets classiques faisant du danseur l’égal de
la ballerine. Il a créé une nouvelle approche du ballet, gommant les différences entre danse
classique et danse contemporaine. Il a voulu danser tous les styles : il a demandé à Maurice
Béjart, Murray Louis, Paul Taylor, George Balanchine, Roland Petit, Kenneth MacMillan,
Frederick Ashton, Martha Graham, Rudi Van Dantzig et bien d’autres chorégraphes encore de
créer des oeuvres pour lui. Aucun autre danseur n’eut autant de partenaires. Pendant près de
trois décennies, il a dansé et remonté tout le répertoire Petipa, créé de nouveaux ballets, filmé
plusieurs de ses productions, dansant 250 représentations par an en moyenne, couvrant les
quatre coins du globe par des tournées avec pas moins de 30 compagnies et son groupe
« Noureev and friends » jusqu’en 1991. Même la maladie n’a pas fléchi ce rythme surhumain.
2013 marque le 20ème anniversaire de sa mort. C’est le moment de réfléchir à la personnalité
et à la carrière de cet artiste d’exception. Il est impossible de décrire en quelques pages
l’ensemble de sa vie hyperactive. Comment Rudik, le petit garçon d’Oufa, est-il devenu
Noureev, le danseur de légende ?

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