D’un ballet à l’autre, qu’il soit une adaptation de Marius Petipa ou une création personnelle, on peut observer chez Noureev-chorégraphe plusieurs thèmes qui reviennent souvent et qui semblent sourdre de sa propre biographie :
La révolte contre une autorité tyrannique
C’est le prince du Lac des cygnes qui refuse le sort que sa mère et son tuteur lui imposent, ce sont les amoureux – Roméo et Juliette (version tragique) ou Basilio et Kitri (version comique) – qui échappent aux volontés parentales (réminiscences de Rudolf en butte à son père qui ne veut pas qu’il devienne danseur, Rudolf se disputant avec la direction du Kirov qui avait décidé de ne pas l’emmener en tournée à Paris, Rudolf se dérobant au KGB en demandant l’asile politique à l’aéroport du Bourget).
Le self-made (wo-)man
C’est Cendrillon passant de sa modeste condition à celle de star (le chemin parcouru par Rudolf)
Le rêve comme transgression de la réalité
Dans Raymonda, la jeune fille voit apparaître en songe, se substituant à son doux fiancé Jean de Brienne – retenu au loin – l’étrange et sensuel Abderam, le Sarrasin, en principe l’ « ennemi ». Rêve intitiatique et « catharsis » de l’interdit refoulé (tentation du fruit défendu).Thème que l’on retrouve, traversant les autres productions de Noureev d’après Petipa, où il met en scène les deux versants possibles d’une même personnalité : le Bien et le Mal. Cette dualité hante Le Lac des cygnes (la blanche Odette et la noire Odile, ainsi que Rothbart dédoublement diabolique du précepteur Wolfgang) comme La Belle au bois dormant (la Fée des Lilas et Carabosse étant présentées comme deux sœurs se disputant les destinées de la jeune Aurore).
Dans Casse-Noisette encore, c’est le rêve ( sous la conduite du double du jouet s’animant et prenant les traits du parrain Drosselmeyer – qui aide Clara à quitter son enfance…
Le rêve permet un accomplissement libérateur que le monde réel n’autorise pas : Solor, en fumant l’opium, peut rejoindre sa bayadère dans un autre monde, au royaume des Ombres ; le Prince Casse-Noisette/ Drosselmeyer délivre Clara de ses cauchemars pour l’emmener dans un monde merveilleux, où elle devient sa princesse : Siegfried, refoulant son homosexualité, s’éprend en songe d’une femme/cygne inaccessible.Le rêve apparaît comme une revanche sur la vie, mais parfois la chance peut pousser la destinée : un producteur de cinéma providentiel enlève Cendrillon aux mauvais traitements de sa marâtre et de ses demi-sœurs pour la faire débuter à l’écran ; Le Prince Désiré, dans un baiser, arrache Aurore à son sommeil et aux vieilles superstitions de Carabosse pour l’épouser et la faire entrer dans un monde qui a évolué.
La dualité
Si les personnages se dédoublent (Odette/ Odile, Rothbart/ le Précepteur Wolfgang, Casse-Noisette/Drosselmeyer), ou ont leur contraire (Fée des Lilas et Carabosse, Jean de Brienne et Abderam, Mercutio et Tybalt), la scène est également divisible en deux, opposant la vie de l’extérieur (les passants dans la rue, dans Casse-Noisette et Washington Square, les plateaux de tournage dans Cendrillon) et l’intimité de la maison familiale, souvent étouffante : d’où l’aspiration du jeune homme ou de la jeune fille à s’évader de cet univers clos, ne serait-ce que par la pensée.