Musique : Piotr Ilytch Tchaïkovski – Chorégraphie : Ruldof Noureev d’après Marius Petipa et Lev Ivanov – Ballet en quatre actes – sujet de Vladimir Begichev et Vassili Geltzer
«Le Lac des cygnes» a tenu une place prépondérante dans la carrière de Rudolf Noureev.
Peu après son triomphe dans «Les Ombres» avec la Ballet du Kirov en 1961 au Palais Garnier il fut décidé de prolonger le séjour de la troupe soviétique pendant deux semaines au Palais des Sports et d’ouvrir le Ier juin avec « Le Lac des Cygnes » dansé par Alla Ossipenko et Rudolf Noureev, dans la rédaction chorégraphique de Constantin Sergueiev d’après Petipa et Ivanov. Déjà idole du public, Noureev dut être affiché le plus souvent possible, soit dans «Les Ombres» soit dans « Le Lac des Cygnes ». Il venait tout juste d’apprendre le rôle du prince Siegfried et ne l’avait dansé que deux fois à Léningrad avant son départ pour Paris.
En 1963 Rudolf Noureev danse «Le Lac des Cygnes» avec le Royal Ballet dans la production de Nicolas Sergueiev (l’ex-régisseur du Théâtre Maryinski qui a fuit la Russie en emportant toutes les notations de Petipa) révisée par Ninette de Valois, avec l’apport de Frédérick Ashton pour la Danse Napolitaine. Noureev n’hésite pas à y ajouter un solo de son cru pour le prince au Ier acte, puis un autre dans le sacro-saint acte II de Lev Ivanov.
D’un seul coup il redonne au danseur masculin un rôle majeur, et crée un personnage ayant sa propre identité, et plus du tout un simple partenaire fade et falot, porteur de la danseuse étoile dans les adages. Grâce à lui l’homme prend une place égale à celle de la femme dans le ballet classique. Rudolf Noureev dansera cette production avec Margot Fonteyn en novembre 1963 au Théâtre des Champs Elysées à Paris. L’année suivante le couple crée à l’Opéra de Vienne la première chorégraphie originale du « Lac des Cygnes » entièrement conçue par Rudolf Noureev, dans des décors et costumes de Nicolas Georgiadis (version magnifiquement filmée en couleurs par Unitel). Rudolf Noureev a également dansé la légendaire version du chorégraphe soviétique Vladimir Bouremeister au Palais Garnier, mais en rétablissant le traditionnel « Cygne Noir » au troisième acte. Il a notamment interprété cette version dans la Cour Carrée du Louvre en juillet 1973 avec Natalia Makarova au cours d’une représentation « orageuse » qui provoqua une tumultueuse brouille entre les deux transfuges du Kirov.
La Version Noureev pour l’Opéra de Paris
Lorsqu’en 1984 Noureev, qui venait d’être nommé directeur du Ballet de l’Opéra de Paris, décida de remonter au Palais Garnier une nouvelle version du « Lac des Cygnes » il dut faire face à l’hostilité unanime des danseurs français, profondément attachés à la production de Bourmreister (pourtant bien dénaturée après vingt cinq ans de services et sévices), qui refusèrent pendant quinze jours de répéter le moindre pas, et n’acceptèrent d’apprendre la chorégraphie de Noureev qu’à la seule condition de reprendre la version de Bourmeister la saison suivante. Totalement différent de sa chorégraphie de Vienne, « Le Lac des Cygnes » de Noureev pour l’Opéra de Paris remet le rôle masculin en valeur dès la spectaculaire Polonaise du Ier acte, totalement originale, non plus dansée par douze couples mixtes, mais par seize garçons divisés en quatre groupes complexes. L’effet est magnifique. Enfin sa conception freudienne rend le ballet très diffèrent, puisque ici le personnage central devient le prince. Odile-Odette ne sont que des fantasmes nés de son imagination. Dans son rêve, Wolfgang, le précepteur dont il subit l’autorité, devient Rorthbart, le génie maléfique qui contrarie son désir de solitude romantique et sa vision idéale de l’amour. Outre les deux solos ajoutés à Londres, Noureev rend Siegfried encore plus présent sur scène (toujours sur la musique de Tchaikovski pour « Le Lac des Cygnes ») et transforme le fameux pas de deux du « Cygne Noir » à l’acte III en pas de trois, donnant à Rothbart l’occasion de se distinguer dans une variation extrêmement difficile. Non seulement Rudolf Noureev a totalement rééquilibré les forces du ballet, mais il a donné aux personnages une profondeur et une vérité psychologique beaucoup plus conformes à l’esprit de la nouvelle génération des danseurs de l’Opéra. Créée au Palais Garnier le 20 décembre 1984 par Elisabeth Platel, Charles Jude et Patrice Bart, cette version est toujours restée à l’affiche malgré une ou deux brèves reprises de la version de Bourmeister, plus dénaturée que jamais ! Aujourd’hui tous les danseurs de l’Opéra préfèrent cette version qui les valorisent et rend le prince plus crédible et proche de leur sensibilité.
Au cours de sa carrière Rudolf s’est non seulement imposé par sa noblesse, son brio et son charisme dans d’innombrables versions du « Lac des Cygnes » mais il a aussi interprété avec un égal plaisir le rôle de Rothbart dans sa production, notamment au Grand Palais lors des fêtes du Bicentenaire de la Révolution Française en 1989.