1986 – CENDRILLON


Musique : Serguei Prokoviev – Chorégraphie : Rudolf Noureev – Costumes : Petrika Ionesco

Une ascension fulgurante, à l’américaine : A star is born !

Rudolf Noureev – avec la complicité du décorateur Petrika Ionesco – s’est amusé à transposer l’histoire de Cendrillon dans l’univers hollywoodien des années 30 : découverte par un producteur de cinéma, la modeste jeune fille, échappant à un père alcoolique et à une marâtre odieuse, fait ses débuts à l’écran, accrochant au passage le cœur de l’acteur-vedette.
Cette « mise en abyme » du ballet, les danseurs – à commencer par Noureev lui-même – ayant peu ou prou le même parcours que cette Cendrillon moderne, est aussi une formidable déclaration d’amour au cinéma et au spectacle, seuls capables de transfigurer les êtres, la danse, en particulier, parvenant à sublimer l’ordinaire.

Dans ses propres ballets, et même lorsqu’il emprunte à Petipa sujet et chorégraphie – tels qu’il les a reçus de la tradition du Kirov – Noureev infléchit le récit en l’enrichissant de résonances freudiennes. Ainsi retrouve-t-on dans Cendrillon plusieurs de ses thèmes de prédilection : le désir de s’évader de la dure réalité, le rêve initiatique, le réel qui rejoint l’imaginaire, l’art comme accomplissement du rêve devenu réalité.

Cendrillon - Rudolf Noureev

CENDRILLON VUE PAR RUDOLF NOUREEV

« Lorsque Petrika Ionesco m’a soufflé l’idée d’une Cendrillon hollywoodienne, j’ai commencé par être très réticent : je craignais une déformation abusive du conte de Perrault. Dois-je regretter que cette suggestion se soit insidieusement glissée dans ma tête, au point de ne plus me lâcher ? J’ai finalement dit oui, et aussitôt j’ai travaillé à la chorégraphie, en fonction de cette idée.

L’époque est celle des années 30 et 40. Celle d’un moment de la vie de Prokoviev, où rentré dans son pays, l’URSS, il éprouvait pour l’Occident une sourde nostalgie. Cendrillon n’est pas très russe. C’est même ce qu’il a fait de plus occidental. Non seulement la musique dicte le ton, mais les danses sont décalées par rapport au contexte. C’est ce décalage que nous avons voulu rendre, en transposant le conte dans l’univers du cinéma.

Cependant, dans cette version, la mécanique de l’histoire n’a pas changé. On y retrouve les deux sœurs ridicules et diaboliques, la terrible marâtre, le père tiraillé entre sa nouvelle femme et cette jeune fille – Cendrillon – sa fille, dont il sait bien qu’elle est maltraitée et doit, pour survivre, se réfugier dans le rêve d’une vie qui lui est interdite.

Tout le drame de Cendrillon, c’est la marche du temps, la peur de voir son rêve s’écrouler, son bonheur fuir avec sa jeunesse. C’est pour cela qu’elle se sauve au moment où l’amour la transfigure. Moi-même, je conçois la vie éternelle comme un luxe suprême !

Le ballet Cendrillon est devenu un rêve de cinéma. Un rêve de robe blanche, teintée d’un peu de rose pour rendre hommage à l’innocence, légèrement argentée aussi, parce que Cendrillon est un personnage d’aujourd’hui, elle ne rêve qu’à une chose : devenir star. Dans ma version de Cendrillon, la fée s’est alors métamorphosée en producteur de cinéma, seul personnage de la mythologie moderne capable, par la magie de son art, de transformer une citrouille en carrosserie de voiture. » Rudolf Noureev – 1986

CENDRILLON ET LE BALLET

Si l’on se réfère à l’histoire de la danse, le personnage de Cendrillon ne semble pas avoir souvent retenu l’attention des chorégraphes, dans les années précédant la composition musicale de Prokoviev (1945).

Bien évidemment, Marius Petipa avait déjà chorégraphié une Cendrillon, avec la collaboration d’Enrico Cecchetti et de Lev Ivanov. C’est dans ce ballet – créé en 1893 – que Pierina Legnani, danseuse italienne, venant d’être engagée au Théâtre Marie/ Mariinski, inaugura une série de trente-deux fouettés qui stupéfia le public.

On trouve encore une Cendrillon à Berlin, en 1901 sur une composition de Johann Strauss-fils. Mikhaïl Fokine présente aussi à Londres en 1938 sa Cinderella, interprétée par le Ballet Russe du colonel de Basil.

Mais c’est avec la musique de Prokoviev que Cendrillon est devenue – au même titre que Odette/Odile, Aurore ou Juliette – une des figures importantes du patrimoine du ballet, au point que les chorégraphes d’aujourd’hui interprètent le conte à leur manière, « relisant » la fable sous des éclairages nouveaux.

LA MUSIQUE DE CENDRILLON COMPOSEE PAR PROKOVIEV

Après le succès de Roméo et Juliette, sa créatrice, Galina Oulanova, demanda au compositeur de lui écrire un autre ballet. Prokoviev entreprend alors la composition de Cendrillon.

Plusieurs fois interrompue en raison de la guerre, la partition ne sera achevée qu’en 1944.

« La musique à trois thèmes fondamentaux (leitmotive) caractérisant Cendrillon : le premier la décrit brimée et maltraitée ; le deuxième chaste, pure et pensive ; le troisième, un ample thème, amoureuse et radieuse de bonheur. J’ai essayé de peindre les différents personnages : Cendrillon douce et songeuse, le père timoré, la belle-mère coléreuse, les sœurs égoïstes, le jeune prince plein d’ardeur, de telle manière que les spectateurs ne puissent pas ne pas partager leurs joies et leurs peines. » Sergueï Prokoviev.

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Prokoviev, trop malade (il avait fait une chute grave, entraînant une commotion cérébrale) ne put assister à aucune des répétitions de Cendrillon. Son état de santé ira en s’aggravant, et le compositeur (qui écrira encore une sonate pour piano et violoncelle dédiée à Richter et Rostropovitch, ainsi que son septième et dernier ballet La Fleur de pierre, mourra à 62 ans, le 5 mars 1953, le même jour que Staline ! Quand Rudolf Noureev réalisa Cendrillon, le ballet, sur la musique de Prokofiev (1945) n’avait jamais encore fait l’objet de représentations à l’Opéra de Paris. La création de Noureev (au Palais Garnier le 25 octobre 1986) ne fait référence à aucune chorégraphie précédente, mais tout en adaptant le conte, elle reste respectueuse du découpage de la partition et des intentions du compositeur.