Noureev, chef d’orchestre

Noureev Nureyev chef d'orchestre

Si Noureev n’avait été danseur, il eut été musicien. Il découvrit la musique dès sa plus tendre enfance. A Oufa, l’oreille collée au poste de radio qui diffusait de la musique de Tchaïkovsky, le petit garçon s’évadait de son univers où régnaient la faim et la misère. Il dansa tout d’abord dans des groupes folkoriques. dont la musique rythmée et expressive stimulait son tempérament passionné.

Avant l’âge de dix ans, il voulut apprendre à jouer du piano, mais son père lui conseillait plutôt l’accordéon :  » Tu peux l’emporter partout avec toi « … Son rêve ne se réalisa qu’à son entrée à l’Ecole Vaganova à Léningrad où l’apprentissage d’un instrument était obligatoire.

Il allait au concert, achetait toutes les partitions qu’il pouvait dans un vieux magasin de notes. Lorsqu’il ne trouvait personne pour les lui jouer, il essayait lui-même de les déchiffrer. Il s’enivrait de la musique de Mozart, Beethoven, Chopin…La danse de Noureev était caractérisée par une sensibilité musicale très profonde et la capacité de transmettre chaque nuance de la partition par son corps. Il dansait la musique plus qu’il ne dansait sur la musique.

Noureev chef d'orchestre

Sa carrière de chef d’orchestre fut encouragée par trois des chefs les plus extraordinaires de son siècle : Karl Böhm, puis Herbert von Karajan et enfin Leonard Bernstein Ce dernier lui conseilla de suivre la classe de direction d’orchestre de la Julliard School. Mais lorsqu’il envisagea sérieusement cette formation, fin 1990, ses trois mentors n’étaient plus. Il se mit à la direction d’orchestre avec le même acharnement que pour la danse. Partout où il va, il emporte un clavier portatif pour travailler  » Le Clavier bien tempéré  » de Bach. Ses compagnons de tournée de  » Nureyev and Friends  » se souviennent tous d’avoir porté la valise, petite mais lourde, contenant le précieux clavier…

A Vienne, Wilhelm Hübner,  » Papa Hübner « , professeur à l’Académie de musique et ancien violonistre de la Philarmonique, se charge de guider son élève. Avec quelques musiciens de la Philarmonique, Noureev travaille sans relâche pour maîtriser cette nouvelle discipline. Hübner est stupéfait de la capacité et de la rapidité d’assimilation de son élève. Ayant fondé le Residenz Orchester deux ans auparavant, Hübner prépare Noureev à son premier concert avec la Symphonie dite de la Chasse de Haydn, la  » Sérénade pour orchestre à cordes  » de Tchaïkovksy et le Concerto pour violon K218 de Mozart. Les musiciens de l’orchestre n’étaient pas très enthousiastes de servir de cobayes au prestigieux danseur qui cherchait une nouvelle voie. Toutefois ils respectèrent le sérieux de l’approche de leur nouveau chef et lui pardonnèrent ses maladresses devant sa personnalité, mais aussi son humilité et sa volonté de servir la musique. Michel Sassoon, chef d’orchestre qui dirigea de nombreuses représentations de ballets dansées par Noureev et notamment  » Roméo et Juliette  » de Prokofiev pour Noureev et la Scala de Milan dans les années 80, dit :  » Nous nous étions violemment accrochés lorsque j’avais refusé de modifier les tempi puisqu’ils étaient voulus par Prokofiev. Finalement, Noureev adapta sa chorégraphie afin qu’elle soit en harmonie avec la partition du compositeur. Il avait un grand respect de la musique. Il n’aurait pas vraiment pu devenir un grand chef d’orchestre parce qu’il ne savait pas comment parler aux musiciens, mais s’il avait commencé par la musique, il aurait certainement compté parmi les plus grands.  »

Après quelques mois de travail, Noureev fit ses débuts dans le Palais Auersperg en juin 1991 devant quelques centaines d’auditeurs en dirigeant les œuvres précédemment citées. Noureev, malade, ne s’avoua jamais vaincu et c’est ce qu’il entendait signifier au monde en embrassant cette nouvelle carrière. A son répertoire, il ajouta  » Apollon Musagète  » de Stravinsky qu’il avait dansé des centaines de fois, la troisième symphonie, Eroica, de Beethoven, un concerto pour clarinette de Mozart. Peter Schmidl, clarinettiste qui joua plusieurs fois sous la direction de Noureev dit :  » Il dirigeait avec beaucoup de sensibilité, et il restait très modeste. On sentait l’élan de la danse dans sa façon de diriger « . Comment eut-il pu en être autrement ?

Sa carrière de chef d’orchestre couvre à peine plus d’un an, mais là encore il étonna ses proches, comme son public par le nombre de concerts qu’il donna compte tenu de son inexpérience et de la maladie. Il se produisit à Vienne, Athènes, Budapest, Deauville, Ravello, Czestochowa en Pologne, New York, Salt Lake City et San Francisco. En Mars 1992, il se rendit à Kazan, capitale tartare mais la maladie le contraignit à rentrer d’urgence à Paris pour subir une opération.

Ce fut la perspective de diriger  » Roméo et Juliette  » de Prokofiev au Metropolitan de New York qui lui donna l’énergie de survivre. Le 6 mai 1992, il dirigea  » Roméo et Juliette  » que dansèrent Sylvie Guillem et Laurent Hilaire avec les danseurs de l’ABT. Gageons que tous, public et danseurs, furent totalement captivés par ce qui se passait derrière le pupitre du chef.

Sa toute dernière apparition de chef eut lieu à l’Université de Berkeley, San Francisco le 17 juillet 1992. Jusqu’à sa mort, il reçut de très nombreuses propositions pour diriger des ballets, mais ne put les réaliser. Son état de santé l’obligea à abandonner son rêve de diriger la première de la Bayadère à l’Opéra de Paris, le 8 octobre 1992.