Roméo et Juliette

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Musique : Sergueï Prokofiev – Chorégraphie : Kenneth MacMillan, Rudolf Noureev

Bien que l’unique version du « Roméo et Juliette » de Prokofiev, dans la célèbre chorégraphie de Léonid Lavrovski, était au répertoire du Kirov quand Rudolf Noureev y dansait, il n’eut pas l’occasion de l’interpréter.

Ce n’est qu’en 1965 qu’il incarna ce rôle légendaire dans la chorégraphie de MacMillan. En fait le chorégraphe britannique avait conçu son ballet pour sa danseuse préférée, Lynn Seymour (Juliette) et pour Christopher Gable (Roméo). Mais à quelques jours de la création, la direction du Royal Ballet imposa le couple le plus fameux de l’époque : Margot Fonteyn et Rudolf Noureev, que tout le monde voulait voir danser, et qui assurait le succès d’un ballet. Il faut reconnaître que Rudolf Noureev se fit beaucoup d’ennemis au sein du Royal Ballet, son talent éclipsant celui de toute une génération de remarquables danseurs qui ne jouirent jamais de l’immense popularité ni de la même publicité que le transfuge du Kirov, devenu partenaire attitré de la plus brillante étoile du Royal Ballet.

La première représentation du « Roméo et Juliette » de MacMillan, le 9 février 1965 fut saluée par quarante minutes d’ovations. Et pourtant, Noureev qui se remettait d’un accident, dansa avec une jambe bandée « Mais même avec un seul pied, Mr. Rudolf Noureev danse mieux qu’un autre avec deux pieds ! » note avec enthousiasme le critique du «Times». Si quelques-uns émirent des réserves sur la coiffure trop blonde de Noureev, la presse se montra en général excellente et Noureev « captiva comme toujours le public ». La production de MacMillan s’est imposée comme un grand classique du répertoire, et le couple en fut longtemps la vedette à Londres comme à New York. Leur prestation fut magnifiquement filmée par Paul Czinner en 1966.

En 1990 Rudolf Noureev revint une dernière fois danser « Roméo et Juliette » à Covent Garden, mais dans le rôle de Mercutio, aux côtés de Sylvie Guillem et Jonathan Cope, à l’occasion d’un gala donné en hommage et au bénéfice de Dame Margot Fonteyn, atteinte d’un cancer des os nécessitant des soins extrêmement onéreux. La princesse Margaret et Lady Di furent les premières à applaudir la grande artiste, toujours digne, venue saluer sur scène, pour la dernière fois aux cotés de son ex partenaire, un public d’admirateurs enthousiastes. Mais Noureev ne se contenta pas d’incarner le Roméo de MacMillan.

Il chorégraphia sa propre version – beaucoup plus complète sur le plan musical – tumultueuse et fougueuse, étoffant les rôles de Roméo (« Roméo, c’est l’histoire d’un jeune garçon qui devient un homme » expliquait-il), de Tybalt et Mercutio, insistant sur les scènes populaires, spectaculaires duels entre Capulet et Montaigu et foules hargneuses ou en liesse. La création eut lieu en 1977 au Coliseum par le London Festival Ballet avec Noureev en Roméo face à quatre Juliette successives : Patricia Ruanne , Elisabetta Terabust, Eva Evdokimova et Lynn Seymour. C’est cette production qui fut présentée avec les mêmes Juliette en alternance, dans les décors d’Ezio Frigerio et les costumes de Franca Squarciapino en 1978 au Palais des Sports à Paris. Noureev remonta ensuite son ballet à la Scala de Milan en 1980, dans des décors et costumes d’Ezio Frigerio et Mauro Pagano, avec Carla Fracci en Juliette.

Le chorégraphe filma lui-même le spectacle pour la télévision italienne. Outre Noureev et Carla Fracci la distribution comprenait une troisième vedette de première grandeur : Margot Fonteyn dans le rôle de Lady Capulet, incomparable dans sa déploration sur le corps de son fils Tybalt tué par Roméo. C’est cette production, remaniée par Noureev alors directeur du Ballet de l’Opéra de Paris, qui entra au répertoire du Palais Garnier en décembre 1984 dansée par Monique Loudières, Patrick Dupont, Cyril Atanassoff, Jean-Pierre Franchetti, Laurent Hilaire et Yvette Chauviré (Dame Capulet). Noureev y interpréta tantôt le rôle de Roméo, tantôt celui de Mercutio.

En 1991, Rudolf Noureev, dont l’Opéra n’avait pas renouvelé son contrat de directeur deux ans plus tôt, fut appelé au Palais Garnier pour y remonter son « Roméo et Juliette ». Grand découvreur de talents, il distribua dans le rôle de Mercutio le Sujet Nicolas Le Riche, et décelant tout le potentiel de ce jeune artiste lui apprit le rôle de Roméo qu’il dansa en matinée cinq jours plus tard, le 19 décembre, avec grand succès aux côtés de Claude de Vulpian. Nicolas Le Riche est l’ultime danseur étoile de l’Opéra « lancé » par Rudolf Noureev.

A la fin de sa vie, déjà très marqué par la maladie, Rudolf Noureev dirigea lui-même la partition de Prokofiev à la tête de l’Orchestre du Metropolitan Opéra lors d’une représentation historique de « Roméo et Juliette » au Lincoln Center à New York le 6 mai 1992, avec Sylvie Guillem et Laurent Hilaire. Ce fut son avant dernière prestation en public. Elle fut couronnée de succès.