Marguerite et Armand

Dame Margot Fontaine ballet dancing with Rudolph Nureyev

Musique : Franz Liszt – Chorégraphie : Frederick Ashton

En 1961, Frederick Ashton, après une représentation de « La Dame aux camélias » d’Alexandre Dumas avec Vivian Lee, décida de mettre en scène un ballet basé basé sur cette pièce, pour sa muse, Margot Fonteyn. La même année le jeune transfuge du Kirov, Rudolf Noureev, fut invité par Margot Fonteyn à participer à un gala de charité à Londres. Pour sa première apparition sur scène en Angleterre, le danseur demanda à Ashton de lui régler un solo. Mais Noureev choisit lui-même la musique, le « Poème Tragique » de Scriabine, et conçut une grande partie la chorégraphie, ce qui ne manqua pas d’agacer Ashton, qui en revanche fut conquis par la beauté, la technique et la culture du jeune danseur soviétique.

En février 1962 Noureev fut invité à danser pour la première fois « Giselle » avec Margot Fonteyn, et à la suite de leur triomphe, il devint son principal partenaire, engagé au titre d’invité permanent du Royal Ballet. Ashton songeait toujours à sa « Dame aux camélias » et encore d’avantage après avoir vu deux films qui nourrirent son inspiration : « Camille » avec Greta Garbo, et « L’année dernière à Marienbad » d’Alain Resnais. Un soir il entendit la « Sonate » de Liszt et aussitôt le ballet prit définitivement forme dans son esprit. Ashton fut d’autant plus convaincu par ce choix musical qu’il apprit qu’avant sa mort -à 23 ans ! – Marie Duplessis (devenue Marguerite Gautier dans « la Dame aux camélias ») eut une liaison amoureuse non seulement avec Alexandre Dumas mais aussi avec Franz Liszt. Naturellement Margot Fonteyn voulut créer le ballet avec Rudolf Noureev. Plus tard le danseur dira avec amertume qu’aucun ballet n’aura été crée pour lui au Royal Ballet, mais seulement comme partenaire de Margot Fonteyn. Les premières répétitions furent difficiles, Rudolf et Margot s’absentant souvent, mais très vite Ashton fut galvanisé par le charisme de Noureev et par l’entente du couple dont il suivit les impulsions passionnées pour sa chorégraphie. Ashton utilisa aussi des attitudes et des pas empruntés à Noureev : « Il y avait chez lui une sorte d’animalité, une intensité physique et une impulsion sexuelle qui chargeaient l’atmosphère d’électricité », disait Ashton pour qui Noureev était la réincarnation de Liszt, l’artiste fougueux et charmeur qui captive les foules. En quinze jours le ballet était réglé. La répétition générale fut orageuse. Noureev prit notamment des ciseaux pour couper les queues de son habit qui le gênaient . Mais la première de gala le 12 mars 1963 à Covent Garden, en présence de la Reine Mère et de la Princesse Margaret, fut un immense succès et le rideau se releva vingt et une fois sur les artistes et le chorégraphe.

Le ballet, qui utilise le procédé du flash back, se divise en cinq scènes : « Prologue ». « La Rencontre ». « A la campagne ». « L’insulte ». « La mort de la Dame aux camélias ». Le décor très dépouillé ne comporte qu’un élément omniprésent : le lit sur lequel Marguerite Gautier agonise et revit sa liaison tumultueuse avec Armand. La Sonate de Liszt fut orchestrée par Humphrey Searle, puis par Dudley Simpson pour une dernière série de représentations en 1977 au Coliseum de Londres. Mais dans son film « Un danseur nommé Noureev » tourné en 1973, et qui comprend « Marguerite et Armant » en entier, le réalisateur Louis Jourdan est revenu à la version originale pour piano de la Sonate de Liszt. (Le ballet aurait été filmé une seconde fois en 1979 par Patricia Foy pour la série télévisée de Margot Fonteyn « The Magic of Dance »). Aucun film cependant ne peut traduire la fascination que Fonteyn et Noureev exerçaient sur le public en scène, l’atmosphère survoltée qui régnait dans la salle comme sur le plateau. « Des acteurs extraordinaires » jugeait Peter Brook, « qui apportent à chaque moment, à chaque mouvement, une profondeur qui rend soudain naturelle et humaine la plus artificielle des formes». Le couple a beaucoup dansé ce ballet : une quarantaine de fois à Covent Garden, puis à la Scala de Milan, à l’Opéra de Paris pour le mémorable gala du Centenaire du Figaro le 17 novembre 1966, en Amérique du Sud et du Nord en 1975 et pour la dernière fois à Londres en 1977.

Noureev marguerite et armand

En mars 2000 Sylvie Guillem –une des danseuses préférées de Noureev qui la nomma étoile à 19 ans- après avoir décliné plusieurs fois l’offre, accepta de reprendre ce ballet avec Nicolas Le Riche, à la demande d’Antony Dowell, directeur du Royal Ballet. Contrairement à ce qu’on pouvait craindre, l’ombre de Fonteyn et de Noureev ne vint aucunement ternir leur interprétation. Sylvie Guillem s’y révéla éblouissante, totalement différente de Margot Fonteyn, et Nicolas Le Riche excellent, lui aussi très éloigné de l’image de Noureev. Tous deux dansèrent « Marguerite et Armand » le 20 janvier 2003 lors du prestigieux gala organisé au Palais Garnier à l’occasion du dixième anniversaire de la disparition de Rudolf Noureev. D’autres artistes se risqueront peut-être un jour à danser «Marguerite et Armand», mais jamais on ne pourra voir ce ballet sans penser à ses immortels créateurs.